Mathieu Martin |

Ce que vous devez savoir sur les ratios ROE et ROA

La Rentabilité des Capitaux Propres (Abréviation: ROE, de l’anglais Return On Equity) et la Rentabilité des Actifs (Abréviation: ROA, de l’anglais Return On Assets) sont deux ratios très utilisés par les professionnels du milieu de la finance quand vient le temps d’analyser une entreprise. Toutefois, il semble que ce soient des outils bien moins populaires chez l’investisseur privé ou de détail. Après plusieurs lectures sur ces ratios au cours des derniers mois, j’en suis venu à la conclusion qu’ils peuvent s’avérer très utiles lors d’une prise de décision d’investissement, puisqu’ils reflètent la capacité de l’entreprise à pouvoir générer des profits en proportion des actifs à sa disposition ainsi que de l’argent investi par les actionnaires de la compagnie. Les entreprises pouvant générer une grande rentabilité sur leurs actifs et leurs capitaux propres pendant plusieurs années sont celles, dans bien des cas, qui vont éventuellement rapporter d’excellents retours aux investisseurs. Je vais d’abord débuter avec une brève description de ce que sont ces deux ratios et comment les calculer, puis je poursuivrai avec un exemple réel sur une compagnie que je possède dans mon portfolio.

Rentabilité des Capitaux Propres (ROE)

La rentabilité des capitaux propres (ROE) est calculée en divisant le bénéfice net généré par une compagnie dans une année donnée par le montant d’argent total investi dans l’entreprise par les actionnaires, en d’autres mots les capitaux propres (en anglais, Shareholder’s Equity).

Les capitaux propres sont calculés ainsi: Actifs totaux – Passifs totaux = Capitaux propres.

Imaginons maintenant deux compagnies A et B pour illustrer un exemple théorique. La compagnie A a généré $10M de bénéfice net lors de la dernière année avec des capitaux propres de $50M. Ceci veut donc dire que son ROE a été de $10M / $50M = 20% ROE.

D’un autre côté, la compagnie B a aussi généré $10M de bénéfice net lors de la même période mais elle l’a fait avec des capitaux propres de $100M, résultant en un ROE de 10% ($10M / $100M).

Ce que cet exemple démontre, c’est que chacune des deux compagnies peut générer $10M de bénéfice net, toutefois l’entreprise A est beaucoup plus efficace puisqu’elle dégage le même profit avec deux fois moins d’argent investi. Dans ce cas-ci, en se basant sur l’analyse du ROE, nous préférerions être actionnaires de la compagnie A puisqu’elle dégage un meilleur profit en proportion de l’argent investi par les actionnaires. Généralement, la plupart des gestionnaires de portefeuille professionnels vont rechercher des compagnies affichant un ROE de 15% ou mieux.

Rentabilité des Actifs (ROA) et le lien entre le ROA et le ROE

La rentabilité des actifs (ROA) est calculée en divisant le bénéfice net généré par une compagnie lors d’une année donnée par le total des actifs que cette compagnie possède. C’est une mesure, en pourcentage, de l’efficacité d’une compagnie à utiliser ses actifs pour générer des profits. Si une compagnie n’a aucune dette alors le total des actifs équivaut au même montant que les capitaux propres et donc, le ROA et le ROE sont égaux. La différence entre les deux ratios se situe au niveau de la structure financière, le ROE tenant compte de l’utilisation de la dette alors que le ROA non.

Revenons maintenant à notre exemple théorique. La compagnie A, qui a généré $10M par année avec des capitaux propres de $50M, possède en fait $800M d’actifs ($800M d’actifs – $750M de dettes = $50M de capitaux propres). Son ROA se calcule comme suit: $10M de bénéfice net / $800M d’actifs = 1.25% ROA.

De l’autre côté, la compagnie B, avec $100M de capitaux propres, possède seulement $150M d’actifs ($150M d’actifs – $50M de dettes = $100M de capitaux propres). Le ROA de la compagnie B a été de $10M de bénéfice net / $150M d’actifs = 6.67% ROA.

La base d’actifs nécessaire pour générer 10M$ de profits est de $800M d’actifs (trésorerie, immobilisations, machinerie, etc.) pour la compagnie A, soit beaucoup plus que les $150M d’actifs de la compagnie B. Celle-ci est bien plus productive avec les actifs à sa disposition. Généralement, la plupart des gestionnaires de portefeuille professionnels ne considèreront pas une compagnie avec un ROA inférieur à 5% parce que cela signifie que la compagnie a de la difficulté à dégager un profit raisonnable avec sa base d’actifs.

Ce que l’exemple ci-haut illustre, c’est qu’une compagnie peut générer de bons retours sur ses capitaux propres si elle utilise du levier financier (dette), mais cela ne veut pas nécessairement dire qu’elle est efficiente pour tirer un maximum de profits des actifs à sa disposition (comme la compagnie A). D’un autre côté, une compagnie utilisant peu de levier financier (compagnie B) peut obtenir de plus faibles retours sur les capitaux propres mais en contrepartie être très efficace à utiliser sa petite base d’actifs pour générer d’excellents retours. Pour ces raisons, je crois qu’il est important de se pencher sur l’analyse de ces deux ratios afin de bien comprendre la performance financière d’une compagnie et de déterminer si la direction fait bon usage de la dette pour créer de la valeur pour les actionnaires.

Interprétation du ROE

Revenons cette fois sur l’exemple de la compagnie A, qui génère $10M de profits lors d’une année sur $50M de capitaux propres, résultant donc d’un ROE de 20%. Cela implique alors une augmentation des capitaux propres pour l’année suivante. Si l’année suivante, la compagnie génère encore une fois $10M de profits mais cette fois, avec $60M de capitaux propres ($50M + 10M$ de profits de l’année précédente), le ROE s’en trouve diminué à 17% au lieu de 20%. Lorsqu’une compagnie réussit à garder un ROE constant au fil des années, cela signifie que la direction est capable de réinvestir les profits dans l’entreprise et de générer le même taux de retour qu’avec l’argent initial et ce, année après année. C’est ça le pouvoir des rendements composés et c’est un facteur majeur en ce qui a trait à la création de valeur pour les actionnaires. Dans son livre 100 Baggers: Stocks That Return 100-to-1 and How To Find Them, Christopher Mayer écrit la chose suivante:  »[Traduction française:] Ces titres qui sont les plus attrayants sur une base de valeur actuelle nette sont ceux qui peuvent croître à haute vitesse. Et pour croître à une vitesse plus élevée que la moyenne, ils ont besoin d’avoir une certaine sorte d’avantage compétitif durable. Ces titres génèrent de hauts ROE. »

J’ai fait une étude de cas avec une compagnie que je possède dans mon portfolio d’investissement: Xpel Technologies Corp (TSX: DAP-U ; OTC: XPLT). Xpel est une compagnie américaine qui vend de la pellicule protectrice pour peinture automobile.

Puisque Xpel avaient des pertes accumulées importantes, l’impôt comptable a été très inconstant au cours des dernières années. Pour cette raison, j’ai procédé à des ajustements en utilisant un taux d’imposition normalisé de 35% par année pour déterminer le bénéfice net, et j’ai enlevé les actifs et passifs d’impôts différés du bilan également. Cela permet d’évaluer l’évolution du ROE et du ROA beaucoup plus facilement au cours des années. Le tableau suivant résume les résultats des 5 dernières années ainsi que ceux des 12 derniers mois. Prière de noter que j’ai calculé le ROA et le ROE moyen, c’est-à-dire que j’ai utilisé les actifs et les capitaux propres moyens pour le calcul de chaque année (moyenne entre le montant au début et à la fin de la période).

Metrics (francais)

Comme vous pouvez le remarquer, Xpel a réussi à générer de hauts retours lors des 5 dernières années et même si les résultats des derniers 12 mois semblent montrer un ralentissement par rapport aux années précédentes, ils sont tout de même largement au dessus de ce que la plupart des gestionnaires de portefeuille considéreraient comme un rendement acceptable. La diminution du ROA et du ROE au cours des 12 derniers mois est, selon moi, le résultat de deux facteurs : i) l’ajout d’intangibles et de goodwill au bilan suite à l’acquisition de Parasol Canada et ii) la force du dollar US, lequel a pesé négativement sur la profitabilité. Laissez-moi vous expliquer chaque facteur en détails.

En comparant les deux dernières lignes du tableau, on peut observer que le bénéfice net ajusté a augmenté de 4% seulement alors que les actifs ont crû de 45% et les capitaux propres de 27%. Si les actifs ont augmenté plus rapidement que les capitaux propres, c’est grâce à l’utilisation de la dette. En effet, lorsque Xpel a procédé à l’acquisition de Parasol Canada le 6 février 2015, la compagnie a ajouté 4.8M$ de nouvelle dette. Néanmoins, malgré l’utilisation de levier financier, le ROE a diminué. Pourquoi ? Parce que le ROA a chuté encore plus drastiquement. On pourrait en conclure que c’est parce que les nouveaux actifs au bilan n’ont pas été en mesure de générer un niveau de rendement aussi élevé que par le passé et remettre en doute la capacité de Xpel à réinvestir ses profits dans des opportunités à hauts rendements. C’est vrai et faux à la fois.

Parasol, tout comme Xpel, est une entreprise opérant avec une faible base d’actifs à long terme. Ainsi, lors de son acquisition, Xpel a principalement ajouté des intangibles et du goodwill. Ceux-ci représentent la valeur du réseau de distribution de Parasol et de ses avantages compétitifs. Si Xpel devait réaliser au bilan la valeur de la position compétitive qu’elle a su bâtir aux États-Unis depuis plusieurs années, je suis d’avis que les intangibles et le goodwill auraient une valeur encore plus importante que celle attribuée à Parasol et le ROA diminuerait lui aussi de façon importante. Il faut se méfier des intangibles lorsque vient le temps d’établir des comparaisons.

Cela dit, la faible hausse du bénéfice net ajusté par rapport aux actifs et aux capitaux propres y est aussi pour beaucoup dans la diminution du ROA et ROE. Et c’est la partie de l’équation la plus préoccupante. Voici mon opinion à ce sujet:

Xpel vend directement aux installateurs aux États-Unis, en Grande-Bretagne et maintenant au Canada, depuis l’acquisition de son distributeur canadien, Parasol Canada. Le but de cette acquisition, entre autres, était d’intégrer verticalement le marché canadien afin de capturer les marges du distributeur sur les ventes de pellicules protectrices au Canada. À première vue, il s’agit d’une stratégie pleine de bon sens puisque cela permet à Xpel d’avoir plus de contrôle sur la mise en marché de ses produits au Canada et d’y augmenter ses marges. Malheureusement, avec des coûts en dollars américains et la montée de ce dernier par rapport au dollar canadien, les marges s’avèrent sous forte pression au Canada. Certes, Xpel peut augmenter les prix pour transférer l’impact aux consommateurs, ce que la compagnie a fait en mai dernier avec une modeste augmentation des prix de 2.5%, mais il y a certaines limites à une telle stratégie. On ne peut transférer une hausse de 30% du jour au lendemain et rester compétitif.

Le taux de change a aussi eu un effet sur les ventes aux distributeurs internationaux, lesquels ont probablement décidé de réduire leur inventaire dans l’espoir d’acheter à nouveau lorsque le dollar américain sera plus faible. Et avec des marges sous pression, ceux-ci pourraient être tentés de favoriser d’autres produits dans leur catalogue. À court terme, l’impact est significatif mais je crois qu’à long terme ces conditions défavorables devraient s’estomper. Que ce soit au Canada ou dans ses autres marchés internationaux, Xpel possède une image de marque forte auprès des installateurs, laquelle lui permettra d’ajuster les prix. Rappelez-vous que la pellicule ne compte que pour environ 20% de la facture du consommateur final. Les coûts de main-d’œuvre se veulent les plus importants et sont payés dans la monnaie locale.

En conclusion, en se basant sur les chiffres du tableau affiché ci-haut et ma compréhension personnelle de l’entreprise, je crois que la diminution du ROA et du ROE de Xpel n’est que temporaire et j’ai une forte conviction que la direction sera en mesure de continuer à réinvestir les profits de l’entreprise à un haut taux de rendement. Nous verrons dans les prochaines années si l’acquisition de Parasol Canada sera aussi profitable qu’anticipé initialement.

Cet exemple réel illustre bien l’importance d’utiliser les ratios ROE et ROA pour évaluer la performance financière d’une compagnie. Cela dit, il faut garder en tête que ceux-ci ne reflètent que les performances passées et qu’ils ne sont pas garants du futur. Il est toujours recommandé de mettre ces chiffres en perspective avec une analyse qualitative de la compagnie afin de mieux en évaluer la performance potentielle future.

 

Divulgation: Mathieu possède des actions de DAP-U.V