Ian Cassel |

Jazz Pharmaceuticals (JAZZ) : Bruce Cozadd et sa décision à 7 milliards de dollars

Article publié originalement en anglais sur Intelligent Fanatics Project, sous le titre Jazz Pharmaceuticals (JAZZ): Bruce Cozadd’s $7 Billion Decision

Le Intelligent Fanatics Project a été créé par Ian Cassel et Sean Iddings, deux investisseurs de microcaps dont le but est de dénicher la prochaine compagnie extraordinaire en recherchant parmi les milliers d’entreprises publiques. Toutes les compagnies extraordinaires ont débuté en étant de petites compagnies, et la plupart de celles-ci ont été fondées par des individus exceptionnels que Ian et Sean qualifient de «fanatiques intelligents». La mission du Intelligent Fanatics Project est de partager du contenu intéressant sur ces individus d’exception afin de permettre aux investisseurs, entrepreneurs et décideurs de se hisser sur les épaules des fanatiques intelligents et ainsi leur permettre de voir plus loin. 

-Traduction par Simon Boudreau

Le 2 avril 2009, Bruce Cozadd a été nommé PDG de Jazz Pharmaceuticals (JAZZ), une compagnie qu’il a cofondé en 2003.  Il avait une décision très importante à prendre.  La compagnie se transigeait à US$0.53 par action (US$15M de capitalisation boursière), avait des capitaux propres négatifs, US$120M de dette à long terme, US$15M en encaisse et était incapable de lever du financement.  Il pouvait utiliser le reste de l’encaisse soit pour faire le prochain paiement d’intérêt aux détenteurs de la dette, soit pour continuer de financer un essai clinique en cours.  Il a choisi la deuxième option et en date de la publication de cet article, une action de Jazz Pharmaceuticals valait US$115 donnant ainsi à l’entreprise une capitalisation boursière de 7 milliards de dollars.

JAZZ Pharma Chart

Un investisseur qui aurait acheté des actions de Jazz Pharma le jour où Bruce Cozadd est devenu PDG et qui les aurait détenues jusqu’à aujourd’hui aurait vu ses actions s’apprécier plus de 100x.  L’entreprise est maintenant considérée par Barclays comme un des meilleurs choix d’investissement pour 2017 avec un prix cible de US$200.  C’est incroyable comment les choses peuvent changer en seulement sept courtes années.

Entre 1991 et 2001, Bruce Cozadd a occupé différents postes chez ALZA Corporation (acquis par Johnson & Johnson en 2001), notamment vice-président, vice-président sénior, directeur financier et directeur des opérations.  Fait intéressant, ALZA a été fondé par un autre fanatique intelligent, Dr. Alejandro Zaffaroni, un biochimiste de l’Uruguay qui a démarré plusieurs entreprises à succès.  Cozadd a dit : «J’ai été inspiré par sa [Dr. Zaffaroni] vision d’entreprise non seulement du point de vue scientifique et technique mais aussi du point de vue des affaires.»

 

«La culture d’entreprise chez ALZA était quelque chose de puissant, de consistant mais ce n’est pas moi qui l’a établi.  La compagnie existait déjà depuis des décennies avant que je m’y joigne.  Encore aujourd’hui, près de 15 ans après la fin de ALZA, les gens qui étaient là parlent encore de la culture d’entreprise qui y régnait.»

 

Suite à l’acquisition d’ALZA par Johnson & Johnson, Cozadd s’est permis de prendre un peu de vacances avec sa famille afin d’évaluer vers où il voulait orienter la prochaine étape de sa carrière.  Il a évalué plusieurs entreprises biopharmaceutiques qui étaient à la recherche d’un PDG mais aucune n’avait le même genre de culture qu’il avait connu chez ALZA.  C’est alors qu’il se dit que ce serait probablement plus facile de partir de zéro.  En 2003, Bruce Cozadd, Sam Saks et Bob Myers fondent Jazz Pharmaceuticals.  Ils contactent leurs anciens collègue d’ALZA pour leur proposer de se joindre à l’entreprise.  C’est finalement le nom JAZZ qui a été retenu en l’honneur du style de musique qui est un heureux mélange d’improvisation et de cohésion.

Les fondateurs se sont immédiatement mis au travail pour tenter de répliquer le genre de culture d’entreprise qu’il y avait chez ALZA.  Ils ont identifié cinq valeurs fondamentales : intégrité, collaboration, passion, la recherche de l’excellence et l’innovation.  Le but était d’être le plus honnête et transparent avec tous les employés et ce, en tout temps.  Dans une entrevue de 2015,  Cozadd a dit qu’il se demande sans cesse, «Est-ce que la culture est vraiment comme je le prétends?».  Même aujourd’hui, Cozadd accorde beaucoup de temps aux nouveaux employés, les invitant à le rejoindre pour discuter autour d’un déjeuner qui s’étire parfois sur plus d’une heure.  Il fait également des sondages anonymes annuels pour tous les employés et lit lui-même chaque commentaire.  Il espère que l’anonymat fasse ressortir des réponses honnêtes afin de lui permettre de mesurer la «santé» de la culture d’entreprise.

En 2004, les succès antérieurs des co-fondateurs de JAZZ leur ont permis de lever US$250M provenant d’investisseurs privés et d’investisseurs en capital de risque.  Il s’agissait d’une somme d’argent importante, surtout que les conditions reliées au financement étaient assez souples en ce sens qu’il n’y avait pas de directives précises ni d’objectifs particuliers à atteindre.  La compagnie n’avait pas de produit existant ni de programme de recherche et développement alors les investisseurs ne savaient même pas ce que la compagnie allait faire avec l’argent.

En avril 2005, la compagnie a fait l’acquisition de Orphan Medical pour US$122M.  Orphan Medical se concentrait sur des médicaments orphelins qui servaient à guérir des maladies rares affectant moins de 200,000 patients aux États-Unis.  JAZZ a acquis l’entreprise en raison de son produit phare Xyrem, qui était le seul et unique traitement pour la cataplexie associée à la narcolepsie.  L’entreprise avait maintenant des revenus mais les pertes continuaient de s’accumuler.

Jazz Pharma - Tableau 1

En mai 2007, Jazz Pharmaceuticals a émis 6 millions d’actions à US$18 et a ainsi levé US$108M dans un Premier Appel Public à l’Épargne (PAPE, en anglais «initial public offering» ou «IPO»).  Au cours des trois années précédentes, la compagnie s’était financée en émettant une dette privilégiée convertible de US$265M.  JAZZ avait aussi US$115M en obligations de premier rang.  Il n’a fallu que peu de temps avant que l’entreprise se retrouve encore une fois avec un problème de liquidité.

L’entreprise a ensuite lancé Luvox CR au T1 2008, un traitement qu’elle a obtenu sous licence de Solvay, servant à traiter le trouble obsessionnel compulsif et le trouble d’anxiété sociale.  La direction a décidé de repousser certains paiements dûs à Solvay afin d’acheter du temps supplémentaire.  À la fin de 2008, JAZZ était dans une situation précaire après avoir manqué un paiement d’intérêt aux créanciers de premier rang, plaçant ainsi l’entreprise en défaut de paiement.  De ces obligations de premier rang, 75% provenaient de Lehman Brothers qui, à l’époque, se trouvait aussi en difficulté.  Par-dessus tout, la compagnie devait effectuer un paiement relié à la phase III de l’essai clinique de JZP-6.

Au même moment se déroulait la crise financière, empêchant la compagnie de lever des capitaux supplémentaires.  Elle a donc dû réduire ses dépenses pour survivre et a réduit ses effectifs de 50%.  Bruce se souvient s’être adressé aux employés en personne, essayant d’être le plus transparent possible :

«J’ai dit : Regardez autour de vous.  Les gens que vous considériez comme des collègues de valeur hier, votre équipe, la fondation de cette compagnie, ne sont pas soudainement devenus moins talentueux dans les dernières 24 heures.  Ils n’ont rien à voir dans tout ça.  C’est un dur choix, mais nécessaire pour la survie de cette compagnie.»

Le 2 avril 2009, le co-fondateur Dr. Samuel Saks quittait son poste de PDG en raison de la carrière musicale de sa femme qui prenait de l’ampleur (ceci n’est pas une blague).  C’est Bruce Cozadd qui l’a remplacé dans son rôle de PDG, une position que personne d’autre ne voulait assumer.  Le cours boursier lui, était au plus bas qu’il n’avait jamais été.  La compagnie était au bord de la catastrophe.  Tel que mentionné plus haut, Cozadd a choisi de financer l’essai clinique de Phase III au lieu de faire le paiement d’intérêt aux créanciers de premier rang.  C’était une situation précaire mais malgré tout, le conseil d’administration a établi les objectifs suivants pour 2009 :

  1. Obtenir et dévoiler publiquement les premiers résultats de notre deuxième essai pivot de phase III de JZP-6 (oxybate de sodium) pour le traitement de la fibromyalgie au cours du troisième trimestre de 2009 et soumettre une demande de drogue nouvelle («DDN») à la Food and Drug Administration pour JZP-6 d’ici le 31 décembre 2009
  2. Sécuriser suffisamment de financement, par équité et non-participatif, pour nous permettre d’atteindre nos objectifs d’entreprise
  3. Atteindre un chiffre d’affaires de US$97M pour Xyrem et Luvox et un BAIIA des opérations commerciales de US$45M pour 2009
  4. Atteindre une perte d’exploitation, mesurée à l’aide du BAIIA, inférieur à US$10M au premier trimestre de 2009 et atteindre le point mort, une fois de plus mesuré à l’aide du BAIIA, d’ici le quatrième trimestre de 2009
  5. Veiller à ce que les employés soient alignés avec nos objectifs et que notre entreprise respecte les lois et règlements en vigueur
  6. Trouver un partenaire pour un projet de développement, sécuriser les droits sur une nouvelle opportunité de produit et élaborer un plan stratégique révisé

Soudainement, la vapeur s’est renversée.  La malchance de l’entreprise a cédé place à des catalyseurs positifs.  En juin 2009, le deuxième essai pivot de la phase III JZP-6 que Bruce avait décidé de financer avec les dernières liquidités de l’entreprise, a démontré des résultats positifs et cohérents.  Quelques jours plus tard, la compagnie a présenté ses résultats financiers du deuxième trimestre de 2009.  Les revenus avaient plus que doublé et plus important encore, JAZZ affichait un bénéfice net positif de US$2.2M (comparativement à une perte de US$52M un an plus tôt).  Longitude Capital partners ont injecté US$7M via un placement privé pour permettre d’améliorer le bilan.  Le 5 juin 2009, l’action se transigeait à $1 et à peine trois mois plus tard, en septembre, elle touchait $10.  La suite de l’histoire peut se résumer par le tableau ci-dessous :

Jazz Pharma - Tableau 2

C’est la façon dont vous gérez les situations après avoir touché le fond qui vous définit.  La plupart des employés qui avaient été mis à pied durant la période de 2008-2009 sont rapidement revenus travailler pour Bruce et la compagnie.  Cozadd a dit : «Ce qui compte, ce n’est pas la façon dont vous traitez vos employés vedettes et ceux à qui vous donnez des promotions, c’est la façon dont vous traitez les employés que vous devez laisser partir.  Que diront-ils de votre entreprise après avoir franchi le seuil de la porte?».

Bruce Cozadd a pris la bonne décision au bon moment et a été transparent et honnête avec ses employés tout au long du parcours.  Les difficultés vécues par l’entreprise et les employés ont contribué à créer une culture d’excellence.  En affaires comme dans la vie, ce n’est pas les succès faciles mais plutôt les luttes et les obstacles que vous avez surmontés qui font de vous qui vous êtes aujourd’hui.

Assurez-vous de consulter notre livre, Intelligent Fanatics Project: How Great Leaders Build Sustainable Businesses, pour voir comment huit fondateurs et dirigeants ont développé une culture d’entreprise qui leur a permis de dominer leur marché durant des décennies.

En plus des documents déposés auprès de la SEC, les rapports annuels et le site web de l’entreprise, les auteurs ont aussi utilisé les sources suivantes pour les citations et informations supplémentaires :

From Foundation, To Darkest Days, To Finest Hour [Chef de file en science de la vie]

The Behind-The-Scenes Look Into My Interview With CEO of Jazz Pharma

TWST Interview Bruce Cozadd

Stanford Graduate School of Business Newsletter 2002