Mathieu Martin |

Critique de livre : «The Most Important Thing», par Howard Marks

Les marchés financiers américains étant a des sommets historiques, il semble que rien ne puisse arrêter la montée des indices ni faire craindre les investisseurs. C’est dans des moments comme ceux-là que ma petite voix intérieure me chuchote de redoubler de prudence. Comme l’a mentionné Warren Buffett de manière célèbre :

«Soyez avide lorsque les autres sont craintifs, et craintif lorsque les autres sont avides.»

Je trouve que le concept derrière cette pensée est plutôt simple à comprendre, mais tellement contre-intuitif à appliquer dans la réalité. Personne ne désire vendre les titres dans son portefeuille (ou cesser de déployer du capital additionnel) lorsque les marchés sont continuellement en hausse, de peur de rater des opportunités de gains supplémentaires.

Avec un environnement de taux d’intérêts bas, les espérances de rendement sont très faibles et cela a pour effet de pousser les investisseurs à prendre plus de risques pour obtenir les mêmes rendements que par le passé. Le problème avec cette stratégie, c’est que plus les investisseurs choisissent des produits d’investissement risqués, plus les prix de ces derniers augmentent et au final, moins la prime de risque (le rendement supplémentaire espéré) devient suffisante pour justifier ce risque supplémentaire.

Bien qu’il n’y ait pas beaucoup d’aubaines dans le marché actuel, loin de moi l’idée de vous suggérer de rester sur les lignes de côté et d’attendre la prochaine correction. Toutefois, je crois qu’il est important d’adhérer à une philosophie d’investissement solide et rationnelle afin de ne pas s’exposer à du risque additionnel sans être compensé adéquatement pour ce dernier.

Un auteur ayant énormément façonné ma façon de penser à ce sujet est Howard Marks, cofondateur et président de Oaktree Capital Management. Son livre The Most Important Thing: Uncommon Sense for the Thoughtful Investor est probablement l’ouvrage qui m’a le plus fait progresser en tant qu’investisseur et c’est la raison pour laquelle je désire en faire une critique aujourd’hui.

Tout d’abord, qui est Howard Marks ? Gradué en économie de la Wharton School de l’Université de la Pennsylvanie, Marks a poursuivi ses études afin d’obtenir un M.B.A. en comptabilité et marketing de l’Université de Chicago. Il a par la suite travaillé pendant plus de 25 ans dans le milieu de la finance, dans divers rôles d’analyse et de gestion de portefeuille. C’est en 1995 qu’il prit la décision de démarrer sa propre firme de gestion d’actifs, Oaktree Capital Management. Celle-ci gère présentement tout près de $100 milliards en actifs. En plus de la gestion d’actifs, Marks publie à chaque 2 ou 3 mois, depuis plus de 20 ans, des mémos sur sa vision des marchés financiers. Il est devenu très reconnu pour ceux-ci, ayant notamment averti ses lecteurs en 2000 à propos de la bulle technologique dans un mémo intitulé «bubble.com» qui a été publié 2 mois avant l’éclatement de la bulle. Il a aussi ouvertement émis de nombreuses mises en garde de 2005 à 2007 quant à la surchauffe du marché immobilier américain.

 

Le livre

The Most Important Thing: Uncommon Sense for the Thoughtful Investor est un recueil de gros bon sens. Marks prône grandement l’investissement défensif, c’est-à-dire de s’assurer d’obtenir une marge de sécurité adéquate, d’utiliser peu (ou pas) de levier, de favoriser la valeur d’aujourd’hui par rapport à la croissance potentielle de demain et de toujours considérer les risques que les chosent tournent mal.

Bien entendu, avec un style d’investissement défensif, vous manquerez probablement les titres ou les industries qui sont la saveur du jour et qui deviennent de plus en plus populaires. Pour faire une analogie avec le baseball, Marks mentionne que «vous frapperez moins de coups de circuit… Cependant, vous aurez également moins de retraits au bâton ou frapperez moins de balles à double jeu mettant fin à la manche».

La perception du risque par les investisseurs est un sujet qui revient continuellement au travers du livre. Marks mentionne, par exemple, que l’évolution du prix d’un titre en bourse s’apparente à un concours de popularité. Les gens aiment généralement les titres qui ont bien performé par le passé. Plus les investisseurs aiment un titre, plus ils pousseront son prix à la hausse et plus l’évaluation de celui-ci deviendra élevée, présentant un profil de risque/rendement de moins en moins intéressant. À l’opposé, un titre ayant mal performé n’est probablement pas populaire ni en demande et présente potentiellement un profil de risque/rendement très attrayant. Les énormes rendements ne sont pas réalisés en achetant ce que tout le monde aime, mais plutôt en achetant ce que tout le monde sous-estime. Selon Marks, investir de manière supérieure consiste en deux éléments principaux : «1. Identifier une ou des qualités que les autres ne voient pas (et qui ne sont pas incorporées dans le prix du titre) et 2. que l’avenir vous donne raison (ou à tout le moins, que votre thèse soit acceptée par le marché)».

J’ai également trouvé particulièrement fascinant lorsque Marks traite des cycles boursiers et de la création des bulles. À la base, les marchés boursiers sont généralement en hausse pour une variété de facteurs fondamentaux et rationnels au départ. Cependant, un marché haussier qui s’étale sur de nombreuses années finit par laisser croire à de nombreuses personnes que la montée se poursuivra indéfiniment et que le risque est devenu un concept abstrait et inutile. La crainte laisse place à la cupidité et même les plus sceptiques se laissent tenter par l’idée de devenir riches rapidement. Pour ceux, comme moi, qui n’ont pas vécu la bulle technologique de la fin des années 1990, voici comment Marks décrit ce qui se déroulait à l’époque :

«Du point de vue de la psychologie, ce qui se passait avec les IPOs (Initial Public Offerings) est particulièrement fascinant. Ça se passait environ comme ceci : Votre collègue de bureau vous parle d’un IPO auquel il participe. Vous lui demandez ce que la compagnie fait exactement. Il vous répond qu’il ne le sait pas, mais que son courtier lui a dit que ça allait doubler lors de l’entrée en bourse. Vous vous dites que c’est ridicule. Une semaine plus tard, votre collègue vous annonce que le titre n’a pas doublé… il a triplé! Et il n’a toujours aucune idée de ce que la compagnie fait. Après avoir vécu cette situation à quelques reprises, il devient difficile de résister. Vous savez que tout cela n’a aucun sens, mais vous voulez vous protéger contre le fait de vous sentir idiot. Alors, dans un exemple parfait de capitulation, vous achetez quelques centaines d’actions du prochain IPO… et la folie se poursuit grâce à la participation de nouveaux adeptes comme vous.»

Ce passage m’a frappé puisqu’il montre à quel point il peut être difficile de résister à la tentation de prendre des décisions d’investissement téméraires et irréfléchies en temps d’euphorie.

Au final, je trouve que la rationalité et la compréhension de la psychologie du risque par Marks sont tout simplement géniales, autant dans son livre que dans ses mémos. C’est un auteur que j’admire et je recommande définitivement The Most Important Thing: Uncommon Sense for the Thoughtful Investor à tout investisseur sérieux. Je vous laisse également savoir que Marks est actuellement en train d’écrire un nouveau livre qui sera publié en 2018. Celui-ci traitera des cycles boursiers et arrivera potentiellement sur les tablettes à un stade avancé d’un marché haussier (si celui-ci se poursuit jusque là). D’ailleurs, Marks a mentionné dans son plus récent mémo qu’il commençait à remarquer des signes d’euphorie dans le marché, qui s’apparentent à ce qu’il a vu au cours des deux dernières grandes bulles (2000 et 2007).  Ce sera intéressant de suivre cette évolution au cours des mois à venir.

Sur ce, j’espère que vous apprécierez le livre autant que moi et je vous souhaite une bonne lecture en cette fin des vacances estivales!

Mathieu