Mathieu Martin |

Pourquoi le biais de conservatisme nuit à vos rendements

Imaginez ceci : vous faites la découverte d’une nouvelle idée d’investissement prometteuse. L’entreprise, qui commercialise un logiciel avec un modèle d’abonnement mensuel récurrent, est en forte croissance et sur le point d’atteindre la profitabilité. Celle-ci émet de nombreux communiqués de presse vantant ses exploits ainsi que les mérites de sa technologie. Vos recherches plus approfondies vous indiquent qu’il pourrait effectivement s’agir d’une excellente opportunité d’investissement. D’ailleurs, d’autres investisseurs dans votre réseau sont également actionnaires. Votre thèse d’investissement semble solide, ce qui vous pousse à acheter quelques milliers d’actions.

Puis, quelques semaines plus tard, les états financiers trimestriels sont publiés. L’entreprise n’a pas connu la croissance espérée et n’a pas réussi à dégager un profit tel que prévu. Le bilan s’est détérioré par la même occasion. Mais la direction proclame haut et fort qu’il s’agit simplement d’un ralentissement temporaire. Les résultats des opérations vont dans la bonne direction, affirme le PDG, si on ajuste afin d’écarter la compensation en options, les frais de restructuration, les investissements en technologie et les dépenses reliées à des acquisitions potentielles.

Vous vous dites que c’est un revers temporaire, que votre thèse d’investissement n’a pas changée. Après tout, vos recherches initiales vous ont démontré que l’entreprise était solide et qu’elle était sur le point d’atteindre la profitabilité. Ce n’est pas un mauvais trimestre qui devrait remettre votre jugement en question. À quoi bon mettre à jour vos prévisions financières si le tout devrait rentrer dans l’ordre au prochain trimestre? De plus, les investisseurs que vous suivez sur Twitter en pensent la même chose.

Les mois passent et l’entreprise n’émet presque plus de communiqués de presse. Ses résultats financiers subséquents sont désastreux. Soudainement, la valeur de votre investissement a chuté de moitié. Mais vous avez bien fait vos devoirs au départ, votre thèse d’investissement est solide et vous connaissez bien l’entreprise, pour avoir été actionnaire pendant plusieurs mois déjà.

Cela dit, le doute commence à s’installer. Serait-il le temps de vendre? Bien sûr que non, pensez-vous; imaginez si soudainement l’entreprise se mettait à performer et que le titre remontait en flèche. Vous décidez de conserver le titre en vous disant que votre jugement initial est probablement encore le bon.

L’est-il vraiment? Êtes-vous, en fait, victime du biais de conservatisme?

 

Le biais de conservatisme – Qu’est-ce que c’est?

Selon Wikipedia, le biais de conservatisme «est un biais du traitement de l’information par l’humain, qui fait référence à la tendance à réviser insuffisamment ses croyances lorsque exposé à de nouvelles informations.»

Ce biais est particulièrement dangereux pour les investisseurs de microcaps. En l’absence d’analystes et de couverture médiatique, vous vous trouvez à être la personne responsable d’analyser chaque nouvelle information vous-même. Malheureusement, si vous êtes affectés par le biais de conservatisme, vous êtes trop lent ou simplement réticent à incorporer de la nouvelle information dans votre analyse.

Vous accordez une trop grande importance à vos prévisions initiales alors que la nouvelle information vient possiblement changer la donne. Il pourrait s’agir, par exemple, de résultats financiers largement inférieurs à vos attentes. Ceux-ci devraient alors remettre en doute vos hypothèses initiales et entrainer une modification de vos prévisions.

La négligence de procéder à des changements peut vous pousser à détenir un investissement beaucoup plus longtemps que vous ne le devriez alors que votre thèse d’investissement initiale ne tient plus la route.

 

Différents types de biais

Il existe deux principaux types de biais dont les investisseurs sont victimes: les biais cognitifs et émotionnels. Le biais de conservatisme est un biais cognitif. Un biais cognitif provient généralement de raisonnements fautifs, d’erreurs de traitement de l’information, d’un manque de compréhension de l’analyse statistique ou de problèmes de mémoire. Dans ce cas-ci, il s’agit d’une négligence dans le traitement de nouvelle information.

En revanche, un biais émotionnel provient plutôt d’un sentiment ou d’une intuition, c’est-à-dire qu’il n’est pas lié à la pensée consciente. Les biais émotionnels sont plus difficiles à contrôler que les biais cognitifs.

Les deux types de biais se retrouvent souvent entremêlés, rendant complexe la façon de les corriger. Le biais de conservatisme est fréquemment accompagné de deux principaux biais émotionnels:

 

  1. La préférence pour le statut quo

Vous vous sentez confortable avec la situation actuelle. Il peut s’agir, par exemple, d’une position que vous détenez depuis longtemps. Le fait d’être habitué à détenir cette position et à bien en connaître l’historique vous encourage à préserver le statut quo, plutôt que d’apporter des changements à votre portefeuille.

 

  1. L’aversion au regret

Il s’agit essentiellement d’une peur de regretter une action après l’avoir effectuée. Un bon exemple est la peur de voir un titre monter en flèche juste après l’avoir vendu. En comparaison avec la préférence pour le statut quo, ce n’est pas le confort dans la situation actuelle qui vous dissuade d’agir, mais bien la peur de regretter votre geste par la suite.

 

Les conséquences

Les biais cognitifs et émotionnels affectent une multitude d’investisseurs et ce, de nombreuses façons. Voici quelques exemples de conséquences néfastes pour votre portefeuille:

  • Alors que vous ignorez une nouvelle information négative, d’autres investisseurs l’incorporent dans leurs analyses et agissent sur cette information. Votre négligence et votre inactivité peuvent, dans certains cas, vous coûter cher en termes de rendement.
  • Vous pourriez continuer de détenir un titre bien trop longtemps, alors que votre thèse d’investissement initiale ne tient plus la route et que le titre ne correspond plus à vos critères.
  • Le fait de garder un mauvais titre trop longtemps dans votre portefeuille vous empêche de déployer cet argent dans de meilleures opportunités.
  • Le fait de ne pas agir assez rapidement, ou de ne pas agir du tout (maintenir le statut quo), peut mener votre portefeuille à devenir beaucoup trop risqué ou trop conservateur pour votre situation financière et vos objectifs.
  • L’aversion au regret vous poussera peut-être à vous comporter en mouton, c’est-à-dire à trop vous fier à l’opinion populaire (le troupeau) pour prendre vos décisions d’investissement. Vous avez l’impression que votre sentiment de regret sera diminué si la majorité des gens se sont trompés avec vous.

 

Il y a de l’espoir

Les biais cognitifs sont plus faciles à corriger que les biais émotionnels. Cela dit, dans les deux cas, une modification de son comportement requiert du travail.

C’est un autre biais cognitif, le biais de confirmation, qui est la principale cause de notre réticence à mettre suffisamment à jour nos croyances face à de la nouvelle information, selon Michael Mauboussin, Directeur de la Recherche chez Blue Mountain Capital Management. Mauboussin indique que «nous avons tendance à rechercher de l’information qui confirme nos croyances et à ignorer ou à avoir des doutes par rapport à de l’information qui va à l’encontre de celles-ci. De plus, nous interprétons généralement de l’information ambigüe de façon à ce qu’elle soit cohérente avec nos croyances initiales.»[1] Portez donc une attention particulière aux informations qui contredisent votre thèse d’investissement. Essayez de voir l’envers de la médaille et de comprendre pourquoi d’autres investisseurs ne sont pas d’accord avec vous.

Le simple fait d’être conscient que le biais de conservatisme existe est également un excellent début afin de le corriger. Ayez le réflexe de vous poser des questions lorsqu’une nouvelle information est disponible par rapport à un titre que vous détenez. Est-ce que l’information est significative? Vient-elle mettre en doute vos hypothèses initiales? Devriez-vous ajuster vos prévisions financières? Est-ce que l’entreprise rencontre toujours vos critères? Ensuite, faites l’effort d’incorporer cette information et de reformuler votre thèse d’investissement au besoin.

Finalement, tentez de simplifier vos thèses d’investissement et d’identifier les éléments-clés à surveiller. Vous aurez ainsi plus de facilité à déterminer si une nouvelle information vaut la peine d’être incorporée dans votre analyse. Plus il devient compliqué de mettre à jour vos hypothèses, parce que vous analysez trop de variables, plus le biais de conservatisme est susceptible de vous nuire.

L’amélioration de votre comportement face à de la nouvelle information peut faire une différence importante sur vos rendements à long terme. Alors que la plupart des investisseurs sont victimes des biais cognitifs et émotionnels, votre connaissance de ceux-ci vous permettra d’éviter des pièges et ainsi prendre de meilleures décisions. À vous maintenant d’incorporer l’information que vous venez de lire dans votre processus d’investissement afin de vous démarquer de vos concurrents et de générer des rendements excédentaires!

 

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[1] Who Is On the Other Side?, Michael J. Mauboussin, p.14