Mathieu Martin |

Entrevue avec Michel Bédard («midard»)

Nouveau concept!

Afin d’ajouter de la variété aux articles de blogue, je vais publier, à l’occasion, de courtes entrevues avec des investisseurs qui ont du succès. Dans cette première entrevue écrite, je pose mes questions à Michel Bédard, un membre actif de la communauté Espace MicroCaps depuis de nombreuses années. Il participe notamment sur notre forum de discussion sous le pseudonyme «midard».

Michel a appris à investir par lui-même et il se démarque par le nombre de nouvelles idées d’investissement intéressantes qu’il apporte à la communauté. Et en général, il voit juste! Je m’entretiens donc avec lui afin d’en connaître davantage sur son parcours et sa stratégie d’investissement.

Bonne lecture!

 

Espace MicroCaps: Bonjour Michel! Pour débuter, peux-tu nous donner un aperçu de ton parcours professionnel?

Michel Bédard: Mon histoire n’a pas toujours été rose. Ayant vécu une enfance pauvre, ma mère était seule à subvenir aux besoins d’une famille de trois enfants donc je n’ai pas eu accès à des études universitaires. J’ai été finissant en mécanique automobile à la fin de l’année 1981, juste au moment où l’une des pires récessions frappait le Canada. L’inflation était à 12% et la Banque du Canada avait monté les taux d’intérêts à 19%. Beaucoup de concessionnaires automobiles ont dû fermer leurs portes et le travail était difficile à trouver. J’ai dû travailler au salaire minimum quelques années avant de m’en sortir.

J’ai participé à un programme du gouvernement du Québec pour la réinsertion au travail durant la récession et ce programme payait la moitié du salaire de l’employé. J’ai travaillé dans une petite entreprise qui fabriquait des chaudières à vapeur électriques dans le cadre d’un programme biénergie. J’ai appris l’assemblage de panneaux électriques par moi-même. Plus tard, pour améliorer mes conditions de travail, je me suis trouvé un emploi chez Siemens Électrique, une compagnie allemande. Je suis ensuite retourné sur les bancs d’école pour suivre des cours de soir puis finalement, à l’âge de 32 ans, j’ai complète une Attestation d’Études Collégiales en électronique industrielle à l’institut Teccart.

En 1999, après douze ans d’ancienneté chez Siemens, la fermeture de l’usine a été annoncée. Je me suis immédiatement trouvé un autre emploi chez DT Kalish , qui venait d’être acquise par une compagnie publique américaine nommée DT Industries. On y faisait l’assemblage de lignes de conditionnement pharmaceutique, c’est-à-dire des projets clé en main pour des clients pharmaceutiques tels que Merck Frosst.  Malheureusement, cet emploi fut de courte durée. DT Industries, lors de l’achat de Kalish, avait prévu des bonis annuels aux dirigeants en lien avec les profits engendrés. Il y a eu des malversations comptables pour falsifier des profits. Le titre, coté au Nasdaq, a été suspendu pendant la révision comptable des trois dernières années. Ce lien permet de mieux comprendre l’histoire.

Ce fut le début de la fin pour l’usine de Montréal. L’annonce du transfert vers les États-Unis était annoncée peu de temps après. Ce fut ma deuxième expérience de fermeture d’usine en moins de deux ans. Malgré tout, je me suis trouvé un autre emploi immédiatement dans une entreprise d’équipement d’emballage et j’y travaille depuis 2002.

 

Espace MicroCaps: Comment as-tu commencé à investir à la bourse?

Michel Bédard: J’ai commencé à investir à la bourse vers la fin de 2006. À l’époque, il y avait une émission de télévision au Canal Argent qui s’appelait «Dans le feu de l’action» avec Michel Carignan. Celui-ci y enseignait la façon de trouver des signaux d’achat et de vente sur des titres boursiers. Il utilisait l’analyse technique avec une telle simplicité que je me suis dit: pourquoi ne pas essayer? Aujourd’hui, j’utilise à l’occasion l’analyse technique, mais j’achète seulement si les fondamentaux de la compagnie sont solides.

 

Espace MicroCaps: Comment décrirais-tu ton style d’investissement? Quels sont tes critères importants?

Michel Bédard: Avec l’âge qui avance et les problèmes de santé que j’ai eus (insuffisance rénale qui a mené à une greffe en octobre 2019), mon style d’investissement devient de plus en plus sécuritaire. Je possède un portefeuille REER géré entièrement par une institution financière selon mon niveau de risque et un portefeuille CÉLI que je gère moi-même. Celui-ci inclut des microcaps qui comportent un peu plus de risques. Dans les microcaps, j’évite d’investir dans les titres qui n’ont pas de revenus et je n’investis pas dans l’exploration minière et les ressources naturelles. On sait que quand une récession arrive, le prix des commodités s’écrase alors il faut trouver des titres capables de traverser la tempête.

Dans les microcaps, la plupart des compagnies ne sont pas profitables. Il faut donc essayer de trouver celles qui ont une croissance organique avant qu’elle n’atteignent le point d’inflexion de la profitabilité. Pour les investisseurs patients, Bluerush (TSX-V: BTV) est un bon exemple présentement.

 

Espace MicroCaps: Quel est ton processus et tes ressources favorites pour trouver de nouvelles idées d’investissement?

Michel Bédard: Je crois que la curiosité intellectuelle est le meilleur processus pour trouver des nouveaux titres. En s’intéressant à tout ce qui se passe dans l’actualité, on peut découvrir les tendances par où la croissance va passer dans les jours ou années à venir. On peut ensuite chercher des titres dans ces créneaux.

Prenez par exemple la crise de la COVID-19: j’ai acheté du Médiagrif (TSX: MDF), qui œuvre dans le commerce en ligne, à 3,90$, du Marché Goodfood (TSX: FOOD) à 2,80$ et du Viemed Healthcare (TSX: VMD), qui produit des ventilateurs, à 5,70$. En suivant l’actualité, j’ai constaté que le commerce en ligne explosait, les marchés d’alimentation ne répondaient pas à la demande et il manquait de ventilateurs dans les hôpitaux.

J’utilise souvent des sites tels que Stockwatch pour les nouvelles et les graphiques qu’ils fournissent, CEO.CA pour les nouvelles et les transactions d’initiés, Sedar pour les rapports de gestion et certains blogues comme Espace MicroCaps. Le processus d’apprentissage passe aussi par la lecture des nouvelles de compagnies que je ne connais pas. Je prends des compagnies au hasard et je regarde ce qu’elles font, je visite leur site web, etc. Cela me permet de mieux connaître le marché.

 

Espace MicroCaps: Combien de compagnies détiens-tu généralement dans ton portefeuille?

Michel Bédard: Environ 6 microcaps, ainsi que des petites capitalisations et des titres à revenu fixe pour balancer le risque dans mon portefeuille.

 

Espace MicroCaps: Dans quelles circonstances est-ce que tu prends la décision de vendre une position?

Michel Bédard: Je vends une position quand la situation de la compagnie se détériore, comme par exemple la perte d’un gros client ou lorsque les prévisions sont en baisse pour les prochains trimestres. Je peux vendre aussi quand un titre devient suracheté et que la capitalisation boursière ne se justifie plus. Si on croit au potentiel du titre, on peut vendre un tiers de la position, quitte à la racheter plus tard suite à une correction.

 

Espace MicroCaps: Quel a été ton meilleur coup jusqu’à présent, et quel est ton titre favori actuellement?

Michel Bédard: Xebec Adsorption (TSX-V: XBC) est sans contredit mon meilleur coup jusqu’à présent. Je pense que Xebec est un titre à avoir dans son portefeuille pour encore plusieurs années.

 

Espace MicroCaps: Quelle a été ta pire erreur et qu’est-ce que cela t’as appris?

Michel Bédard: Quand j’ai ouvert mon premier compte de courtage en 2006, j’ai misé sur des titres spéculatifs d’exploration minière. Mon portefeuille était entièrement dans les ressources naturelles lorsqu’est survenue la crise financière de 2007-2008. Inutile de vous dire que mon portefeuille a été dilapidé. Peu après, avec ma conscience écologique, j’ai pris la décision d’investir dans le lithium au Québec et j’ai misé sur RB Energy (Canada lithium). La mine était complétée et en production, mais incapable d’obtenir un lithium pur à 99,9%, qui est un grade de qualité pour la fabrication de batteries pour les véhicules électriques. La modification du procédé demandait 78 millions $ d’investissements. RB Energy a finalement été placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers en octobre 2014.

Ma leçon fût apprise et c’était terminé pour moi les minières.

 

Espace MicroCaps: Quel conseil donnerais-tu à quelqu’un qui commence à investir dans les microcaps aujourd’hui?

Michel Bédard: La pire chose à faire est d’investir à l’aveuglette. Quiconque investit dans une microcap doit faire ses propres recherches sur la compagnie. La plupart des microcaps sont illiquides. La patience est de mise et il ne faut pas s’attendre à des rendements immédiats. Je suggère de prendre une petite position de départ et d’accumuler à mesure que l’histoire se développe.

Il faut toujours regarder la capitalisation boursière. Il arrive que des compagnies qui n’ont pas ou très peu de revenus se retrouvent avec une capitalisation boursière de plus de 100 millions $. Personnellement, je n’embarque pas là-dedans. J’aime voir une croissance des revenus à chaque trimestre.

Les débutants devront aussi faire attention aux bulles spéculatives. Dans les dernières années, il y a eu la marijuana, la «blockchain» et maintenant la COVID-19. Une bulle spéculative, c’est comme un gros party, mais les lendemains de veille sont moins drôles.

Chaque investisseur vivra des réussites et des échecs en bourse. C’est important de faire une introspection de nos échecs pour éviter qu’ils ne se reproduisent.

 

Espace MicroCaps: En terminant, as-tu un mot de la fin ou quelque chose à ajouter dont nous n’avons pas discuté?

Michel Bédard: Une chose dont on ne parle pas souvent en bourse est l’élément chance. On peut détenir un titre qui, soudainement, annonce le plus gros contrat de son histoire, fait une découverte importante ou reçoit une offre d’achat.

Quoi qu’il en soit, je vous souhaite bonne chance et prospérité à tous!