Chip Maloney |

Investir pendant les marchés baissiers et les corrections boursières

Les marchés actuels sont difficiles pour les investisseurs canadiens de microcaps. Les plus durs depuis plusieurs années à mon avis. L’indice TSX Venture a perdu plus de 25% en 2015. De nombreuses petites compagnies que je suis ont perdu plus de 70% depuis leurs sommets. Certes, certains de ces titres avaient devancé leurs fondamentaux. Que vous appeliez cela un marché baissier ou une correction boursière, l’année en cours a été très éprouvante dans son ensemble.

Une correction est généralement considérée comme un renversement d’au moins 10% du marché, alors qu’un marché baissier est marqué pour une diminution de 20% ou plus. J’ai passé à travers deux marchés baissiers et quelques corrections boursières. Mon premier investissement à vie a été fait au début de l’année 2000, près du sommet de la bulle technologique. Six mois plus tard, cet investissement avait perdu 50% de sa valeur et cela a été l’introduction à mon premier marché baissier. Ce marché a duré presque deux ans et a définitivement constitué une expérience d’apprentissage importante dans mon parcours comme investisseur. J’ai réalisé que durant les marchés baissiers, les titres peuvent tomber bien en-deçà de votre estimé le plus bas de leur juste valeur.

Je croyais avoir figuré tout ça lorsqu’a débuté le marché baissier suivant en 2008. Dans mon portefeuille, je détenais 15% en liquidités et quelques positions de couverture avant d’amorcer le mois de septembre 2008. Au début d’octobre, j’ai débuté à déployer mon argent alors que certaines opportunités commençaient à apparaître. Quelques-uns de ces premiers achats ont perdu 50% de valeur en quelques jours seulement. Ces pertes rapides viennent tester votre psyché. J’ai terminé l’année 2008 avec un rendement négatif de 30%. J’ai été chanceux comparativement à d’autres investisseurs de microcaps ayant enregistré des rendements encore plus sévères. Quand vous perdez 30%, vous commencez à vous questionner à savoir si vos antécédents de surperformance n’étaient que de la chance et non liés à vos compétences. Vous vous demandez si vous devriez juste tout investir dans un fond indiciel et cesser la gestion active.

Durant les corrections boursières et les marchés baissiers, les investisseurs passent par toute une gamme d’émotions, de la peur et l’impuissance au désespoir total. Durant le marché baissier de 2008, on aurait dit que le monde financier était en train d’imploser. Chaque station de nouvelles diffusait un message apocalyptique sur les marchés boursiers et le système financier en déroute. Il était difficile de ne pas avoir peur – non seulement les portefeuilles d’actions encaissaient de larges pertes, mais de nombreuses personnes devaient vivre aussi avec la peur de perdre leur emploi et leur maison.

Dans le marché actuel, plusieurs microcaps canadiennes ont enregistré une baisse de plus de 50% par rapport à leurs sommets respectifs. Dans certains cas, les évaluations avaient pris de l’avance sur les fondamentaux et la correction était justifiée. Cependant, il y a quelques poches d’opportunités dans le marché où les compagnies sous-jacentes aux titres ont continué d’améliorer les fondamentaux de leurs opérations, et pourtant ces titres ont aussi été coupés en deux ou plus, à des prix inférieurs à leur valeur intrinsèque. Certaines de ces entreprises sont plus solides que quand elles se transigeaient au double de leur prix actuel il y a un an.

Dans d’autres cas, un ralentissement temporaire de la croissance a fait fondre 50% de la capitalisation boursière. Est-ce que quelques trimestres de croissance au ralenti et de flux monétaires temporairement plus faibles devraient impacter la valeur d’une compagnie potentiellement prospère pour les 15 prochaines années? Les résultats financiers n’évoluent pas en ligne droite d’en bas à gauche jusqu’en haut à droite et la croissance ne progresse pas de façon constante à tous les trois mois. Bref, quand des investisseurs se débarrassent d’une compagnie de haute qualité dans leur portefeuille pour quelques trimestres de résultats plus faibles, cela a autant de sens que si les Penguins de Pittsburgh échangeait Sidney Crosby pour un ailier de quatrième trio parce qu’ils ont manqué les séries une année. Si vous partagez mon opinion sur le sujet, vous pouvez alors prendre avantage des corrections au lieu que celles-ci prennent avantage sur vous.

Suite à cette introduction, voici dix apprentissages tirés de mon expérience à naviguer les précédents marchés baissiers :

1) Les marchés baissiers et les corrections boursières vous donnent la chance d’acheter des compagnies de haute qualité à des prix attrayants. Dans l’excellent livre de John Rothchild, The Davis Dynasty: Fifty Years of Successful Investing on Wall Street, Shelby Cullum Davis dit et je cite (traduction en français): « un marché en baisse vous laisse acheter plus d’actions dans d’excellentes compagnies à des prix favorables. Si vous savez ce que vous faites, vous allez faire le plus d’argent durant ces périodes. Vous allez seulement le réaliser beaucoup plus tard. » Davis doit savoir – le légendaire investisseur a transformé un investissement de $100,000 en actions en 1947 en plus de $800 millions à sa mort en 1994. C’est dans des temps comme ceux-ci, quand tout le monde a peur, que si vous pouvez conserver vos esprits et vous lancer à l’offensive au lieu de vous recroqueviller en position fœtale, que vous pouvez positionner votre portefeuille pour une surperformance dramatique durant les années suivantes.

2) Les corrections vous permettent de remplacer des compagnies médiocres pour des sociétés de bonne qualité dans votre portefeuille. Les deux types se font marteler dans une correction, cependant, c’est souvent la compagnie de grande qualité qui récupère le plus rapidement par la suite. Inévitablement, même les meilleurs investisseurs ont quelques titres sous-performant leur portefeuille, des compagnies de qualité inférieure achetées alors que les conditions économiques étaient favorables. Habituellement, ces achats ont lieu alors que les marchés atteignent des sommets, quand les aubaines se font rares. Lorsqu’une correction se produit, puisque les bonnes compagnies sont affectées en même temps que les mauvaises, c’est la chance d’échanger celles-ci et de liquider le bois mort afin que votre portefeuille puisse prospérer lors de la reprise qui s’en suivra.

3) Durant les marchés baissiers et les corrections, c’est habituellement lorsque les prix continuent de diminuer que la liquidité est au rendez-vous. Si vous avez fait vos devoirs, et que vous pensez qu’un titre est un bon achat, n’ayez pas peur d’acheter même si le titre peut continuer de perdre de la valeur. Vous aurez la désagréable impression de tenter d’attraper un couteau en chute libre. Si le prix continue de baisser après avoir pris une position quasi-complète, le réflexe normal est de penser : « si j’avais attendu un peu plus longtemps que le prix atteigne un plancher, et acheté ma position entière à ce prix, je serais beaucoup plus avancé ». Le problème avec cette ligne de pensée est qu’il y a souvent très peu d’actions transigées près du plancher, et que le prix peut rebondir nettement après la capitulation finale. Il est aussi important de se rappeler que vous avez pris la meilleure décision au point d’achat avec l’information que vous aviez en main, même si le prix a continué de tomber. Si vous avez déterminé qu’un titre est attrayant relativement sur la base de ses fondamentaux, n’ayez pas peur d’acheter même si le prix peut encore baisser. À court terme, vous allez peut-être vous sentir comme un idiot, mais généralement vous aurez votre vengeance sur le long terme.

4) Les corrections vous donnent la chance de diversifier votre portefeuille dans de multiples idées dont les espérances de rendement sont similaires. Vers la fin d’un marché haussier, il est de plus en plus difficile pour un investisseur de trouver des idées qui respectent ses critères d’investissement et celui-ci aura tendance à concentrer son portefeuille dans ses meilleures idées. Les corrections permettent donc de diversifier son portefeuille car les compagnies de qualité voient leur valeur redevenir intéressantes. Plusieurs investisseurs préfèrent rester concentrer dans leurs meilleures idées. Cependant, si vous êtes comme moi, avec un penchant pour des positions concentrées, mais tout en conservant un certain niveau de diversification, vous pouvez alors prendre l’opportunité d’augmenter la taille de vos petites positions qui se transigent maintenant à des évaluations aussi attrayantes que vos plus larges positions dans le but de diversifier votre risque.

5) Les opportunités de situations spéciales augmentent durant les corrections lorsque celles-ci sont accompagnées par des conditions économiques fragiles et des conditions de crédit plus serrées. Inévitablement, c’est dans des moments comme ceux-là que de bonnes compagnies avec de faibles bilans n’ont d’autres choix que de se recapitaliser. Fréquemment, les titres émis dans le cadre d’une recapitalisation peuvent s’avérer de bons investissements. Au début de l’année 2009, The Brick Group, un détaillant de meubles et d’électroniques, éprouvait des difficultés financières et a dû se recapitaliser après avoir amené une nouvelle équipe de direction. Une fois la structure de capital fixée, The Brick Group détenait toujours une entreprise solide, avec une marque reconnue et certains des meilleurs emplacements pour le commerce de détail au Canada. Dans le cadre de la recapitalisation – la société a eu à émettre une importante dette –, pour rendre la transaction attrayante pour les investisseurs, des bons de souscription (de l’anglais warrants) ont aussi été émis. Lorsque les bons de souscription sont devenus libre d’être transigés, j’ai procédé à un investissement. Même si je n’ai capturé que la première moitié de la hausse, les bons de souscription ont vu leur valeur se multiplier par 25x au cours des trois ans suivant mon achat initial.

6) N’ayez pas peur de détenir de l’encaisse ou de la quasi-encaisse. Ces jours-ci, je détiens rarement des liquidités, mais je vais généralement avoir quelques situations spéciales qui vont se transformer en argent dans un futur proche. Ça pourrait être une de vos positions de portefeuille qui se fait acquérir et vous attendez que la transaction soit complétée. Ou encore un arbitrage de risque où vous tentez d’acheter une société sous le prix d’acquisition annoncée afin de capturer un rendement raisonnablement sûr sur une courte période de temps. Durant les corrections, les compagnies avec de solides bilans profitent du faible cours d’action de leurs compétiteurs pour les acquérir à des prix opportunistes. De mon expérience en 2008 et 2009, il n’y a eu que peu à pas de changement dans le taux de complétion de ce type de transactions. Les écarts d’arbitrage de risque se sont accentués étant donné la faible compétition, les autres investisseurs ayant la perception qu’il y avait une probabilité plus faible que de telles transactions soient complétées durant un marché baissier. Ce qui est bien avec ces opportunités d’arbitrage, c’est qu’elles sont une source de liquidités à différents moments durant une correction. Donc, lorsque l’argent arrive dans votre portefeuille, vous pouvez prendre avantage du faible cours des actions à différents points dans le temps durant la correction.

7) Faites de vos titres les moins risqués vos plus larges positions. À la fin de 2008, Jannock Properties était ma position la plus importante. Jannock se transigeait à 8.5 cents et était dans la dernière manche d’une liquidation qui devait bientôt payer 15 cents. Un directeur achetait des actions à la pelle. Jannock a payé un large dividende six mois plus tard, mais je n’ai pas eu besoin d’attendre aussi longtemps. L’écart entre le prix et la valeur s’est rétréci en quelques mois et j’ai été en mesure de vendre et redéployer mon capital dans d’autres titres à rabais. Si vous pouvez trouver des titres avec un très faible risque de dépréciation et un potentiel d’appréciation intéressant, il est payant d’en faire vos plus larges positions.

8) Maîtrisez vos émotions et les biais cognitifs qui influencent vos prises de décision. Il y a certains biais dans notre façon de penser qui ont tendance à s’accentuer durant une correction boursière. Un biais particulièrement prévalent est l’aversion aux pertes, où les investisseurs ayant vu leur portefeuille perdre beaucoup de valeur deviennent paralysés par la peur de continuer à creuser leurs pertes. Les investisseurs souffrent également du biais de disponibilité, lorsqu’ils regardent les pertes les plus récentes dans leurs portefeuilles et concluent que la tendance est appelée à continuer. Un autre biais prévalent durant les corrections est la preuve sociale, qui est un type de pression sociale où les actions des investisseurs sont influencés par celles des autres, par exemple lorsque ces derniers vendent pour se protéger de pertes supplémentaires. Ils doivent savoir quelque chose que vous ne savez pas, non? Tous ces biais décisionnels peuvent empêcher les investisseurs de prendre avantage des corrections. Si vous pouvez les détecter puis les neutraliser, vous augmentez vos chance d’être du bon côté d’une transaction durant une correction.

9)  Si vous commencez à vous sentir impuissant pendant que votre portefeuille prend une raclée, concentrez-vous sur l’évaluation et la réévaluation de vos positions actuelles. Vous voulez revérifier vos hypothèses et analyses sur les titres que vous détenez, et comparer de nouvelles opportunités avec ce que vous détenez déjà. En 2008, alors que mon portefeuille imprimait de nouveaux bas, j’ai pris du recul pour réévaluer toutes mes positions. Je me suis assuré de contacter toutes les personnes d’intérêt dans mon réseau – autres investisseurs, management et contacts de l’industrie – pour savoir ce qui se passait sur le terrain en temps réel. Cela ne signifie pas que vous devez faire des changements drastiques à votre portefeuille. Cependant, quand vous faites cela, non seulement vous bénéficiez d’une circulation améliorée de l’information, mais cela vous aide également à faire face à la volatilité à la baisse en vous donnant un sentiment de contrôle. Votre psychologie de participant passif aux marchés boursiers est remplacée par celle d’un investisseur en pleine possession de ses moyens et engagé activement dans la gestion de son portefeuille.

10)  Et finalement, rappelez-vous que les périodes de mauvais rendements sont historiquement suivies par des périodes de rendements élevés, donc gardez votre focus sur le long terme. Même si cela ne fournit qu’une mince consolation au milieu d’un marché baissier ou d’une correction, tentez de vous rappelez que les retours suivant ces marchés sont habituellement excellents. Avoir un horizon de placement à long terme va vous permettre d’exploiter le fait que la plupart des participants sur les marchés boursiers investissent avec un horizon court terme. Si vous êtes prêt à vous pencher pour affronter le vent de face durant les corrections et à acheter les titres en liquidation des investisseurs court terme, si vous êtes prêts à différer le moment de la gratification et à attendre les gains substantiels à long terme, alors vous vous donnez une bien meilleure chance d’obtenir un rendement supérieur moyen sur le long terme. Après les marchés baissiers de 2000-2002 et 2008, les années suivantes m’ont permis de réaliser les meilleurs retours de ma carrière d’investisseur. Comme la nuit succède au jour, de bons rendements suivent généralement de faibles rendements sur les marchés.

Pour terminer, la meilleure œuvre littéraire sur comment gérer les marchés baissiers et les corrections boursières est sans aucun doute un poème écrit par Rudyard Kipling il y a plus d’une centaine d’années. Quand vous sentez le désespoir vous envahir devant l’accumulation des pertes dans votre portefeuille, essayez de lire ceci. Espérons que cela vous donnera la détermination de persister.

If
by Rudyard Kipling

If you can keep your head when all about you
Are losing theirs and blaming it on you,
If you can trust yourself when all men doubt you,
But make allowance for their doubting too;
If you can wait and not be tired by waiting,
Or, being lied about, don’t deal in lies,
Or being hated don’t give way to hating,
And yet don’t look too good, nor talk too wise:

If you can dream—and not make dreams your master,
If you can think—and not make thoughts your aim;
If you can meet with Triumph and Disaster
And treat those two impostors just the same.
If you can bear to hear the truth you’ve spoken
Twisted by knaves to make a trap for fools,
Or watch the things you gave your life to, broken,
And stoop and build’em up with worn-out tools:

If you can make one heap of all your winnings
And risk it on one turn of pitch-and-toss,
And lose, and start again at your beginnings,
And never breathe a word about your loss;
If you can force your heart and nerve and sinew
To serve your turn long after they are gone,
And so hold on when there is nothing in you
Except the Will which says to them: « Hold on! »

If you can talk with crowds and keep your virtue,
Or walk with Kings—nor lose the common touch,
If neither foes nor loving friends can hurt you,
If all men count with you, but none too much;
If you can fill the unforgiving minute
With sixty seconds’ worth of distance run,
Yours is the Earth and everything that’s in it,
And—which is more—you’ll be a Man, my son! 

Il existe six traductions en français du poème de Rudyard Kipling. Pour les intéressés, cliquez ici.