Mathieu Martin |

Les dividendes: amis ou ennemis de l’investisseur de microcaps?

Un membre de notre forum de discussion m’a récemment posé quelques questions sur les dividendes, ou plutôt sur les entreprises qui ne versent pas de dividendes réguliers et comment les évaluer. L’objectif de chaque entreprise n’est-il pas, rendu à un certain point, de verser régulièrement des dividendes à ses actionnaires? Retourner du capital aux actionnaires via des dividendes et des rachats d’actions est certainement un objectif raisonnable pour la plupart des grandes entreprises bien établies. Pour les microcaps, cependant, quelques facteurs importants expliquent pourquoi la plupart ne désirent pas, ou ne peuvent tout simplement pas, payer de dividendes. Mais d’abord, définissons un dividende:

«Un dividende est une distribution d’une partie des bénéfices d’une société, décidée par le conseil d’administration et versée à une catégorie de ses actionnaires. Les bénéfices nets d’une entreprise sont un facteur important dans la détermination d’un dividende. Les bénéfices nets peuvent être attribués aux actionnaires via un dividende ou conservés dans la société en tant que bénéfices non répartis. Une société peut également choisir d’utiliser ses bénéfices nets pour racheter ses propres actions sur le marché lors d’un rachat d’actions.»[1]

 

Les facteurs qui influencent la politique de dividende d’une entreprise

Pour le conseil d’administration, déterminer la politique de dividende d’une entreprise peut être un processus complexe, car une multitude de facteurs doivent être considérés et évalués. Voici quelques-unes des raisons les plus courantes pour lesquelles la plupart des microcaps ne versent pas de dividendes:

  • Opportunités d’investissement attrayantes à l’interne: lorsqu’une entreprise dispose de projets internes intéressants, comme l’achat de nouvelle machinerie afin d’augmenter sa production, il peut être préférable de réaliser ces investissements avec les flux de trésorerie générés par l’entreprise (réinvestir les profits) plutôt que de verser l’argent aux actionnaires.
  • Volatilité des profits: Les microcaps sont, pour la plupart, de jeunes entreprises avec un historique de rentabilité limité. Initier un dividende régulier lorsqu’il est difficile de prédire avec certitude le niveau de rentabilité de l’année suivante peut s’avérer dangereux.
  • Flexibilité financière: Garder des liquidités au bilan procure plus de souplesse à l’équipe de management afin d’agir rapidement lorsqu’une bonne opportunité se présente. Par exemple, il pourrait s’agir du développement et du lancement d’un nouveau produit ou de l’acquisition d’un compétiteur en difficultés.
  • Coûts d’émission: Lever du capital additionnel en émettant de nouvelles actions peut être accompagné de coûts importants pour les microcaps. Le coût de faire affaires avec des courtiers peut aller de 5% à 10% en espèces en plus de 5% à 10% en bons de souscription sur le montant total de la levée de fonds. Il est donc logique pour une entreprise en forte croissance de conserver ses profits et de les réinvestir, plutôt que de verser un dividende et ensuite devoir émettre de nouvelles actions avec les coûts que cela implique.
  • Clauses restrictives sur la dette: Lorsqu’ils prêtent de l’argent à des entreprises microcaps, la plupart des prêteurs incluent des clauses restrictives qui, entre autres, empêchent l’entreprise de payer des dividendes à moins d’avoir atteint un certain niveau de stabilité financière.

 

Pour quelle raison un investisseur ne voudrait pas recevoir de dividende?

Bien que la plupart des facteurs mentionnés ci-haut représentent des principes de saine gestion financière, la seule vraie raison pour laquelle, en tant qu’investisseur, je ne veux pas recevoir de dividende est si l’entreprise possède de remarquables opportunités de réinvestissement à l’interne (le premier point ci-haut).

Voici un exemple afin d’illustrer mon raisonnement:

Compagnie A est une entreprise stable et mature qui génère $1.00/action de profits chaque année, avec des capitaux propres (valeur comptable, ou «book value» en anglais) de $10.00/action. Ceci signifie que la Compagnie A produit $1.00 de profits pour chaque $10.00 investi par ses actionnaires. À la fin de chaque année, l’entreprise verse tous ses profits en dividendes, ce qui ramène les capitaux propres à la valeur de départ de $10.00/action. Le rendement pour les actionnaires est toujours de 10% par année, soit $1.00 de dividendes pour chaque $10.00 investi.

Compagnie B, pour sa part, génère également $1.00/action de profits avec des capitaux propres de $10.00/action. Cependant, lors d’une année donnée, le conseil d’administration de la Compagnie B croit qu’au lieu de verser un dividende, il serait préférable d’investir dans un nouvel équipement de production qui génèrera 50% de retour sur investissement par année pour de nombreuses années à venir. Ce $1.00/action de profits que l’entreprise désire conserver et réinvestir à l’interne va produire $0.50/action de profits supplémentaires chaque année pour les années subséquentes. L’année suivante, tel que prévu, les profits augmentent à $1.50/action grâce au nouvel équipement, ce qui permet maintenant à la Compagnie B de payer $1.50/action en dividende cette année-là (en supposant qu’elle n’a plus de projets internes intéressants). Le dividende de $1.00/action auquel vous avez renoncé la première année vous a effectivement rapporté $0.50/action de plus en dividendes pour toutes les années subséquentes, soit un rendement de 50% (exactement comme le projet interne de l’entreprise). Suite au réinvestissement de la première année, le rendement annuel total pour les actionnaires est passé de 10% par année (comme la Compagnie A) à 13.6% par année ($1.50 de profits sur $11.00 de capitaux propres) pour la Compagnie B.

Cet exemple est simplifié à l’extrême, mais le fait est que lorsqu’une entreprise conserve ses profits afin d’investir dans des projets qui génèrent des rendements élevés, c’est comme si vous faisiez ces mêmes investissements avec votre propre argent, car vous en bénéficierez plus tard en recevant des dividendes plus élevés. Pour les microcaps, recevoir des dividendes peut prendre de nombreuses années, voire même des décennies, mais le concept demeure le même peu importe à quel point vous extrapolez dans le futur.

En tant qu’investisseur, si votre espérance de rendement est de 10% par année en investissant sur le marché boursier, cela signifie que vous pourrez, en moyenne, réinvestir les dividendes reçus à un rendement de 10% par année pour les années subséquentes. Si une entreprise a un projet d’investissement qui rapportera 30% par année, vous devriez préférer que cette entreprise garde votre part des profits afin d’investir dans ce projet, plutôt que de vous remettre l’argent sous forme de dividende.

Personnellement, mon objectif est de trouver des entreprises avec des équipes de management exceptionnelles qui ont la capacité de réinvestir les profits de leur entreprise à un rendement élevé (mesuré par la «Rentabilité des Capitaux Propres», ou «ROE» en anglais) pendant de nombreuses années. Je n’ai aucun inconvénient à ne pas recevoir de dividendes, car je devrais tout de même générer des rendements positifs grâce aux gains en capitaux (appréciation du prix de mes actions). En effet, plus une entreprise réinvestira ses profits à un rythme élevé, plus ses capitaux propres et sa capacité à verser des dividendes dans le futur grandiront, poussant ainsi le prix du titre à la hausse.

Avant de conclure, je dois également mentionner qu’il existe des théories contradictoires concernant la politique de dividende et son effet sur la valeur des actions. Des données empiriques supportent la théorie selon laquelle les titres à dividendes sont perçus comme moins risqués et atteignent de meilleures valorisations que les titres qui ne versent pas de dividendes[2]. C’est un tout autre débat et celui-ci sera pour un autre jour..!

Voici l’essentiel: quand je vois un titre à dividendes dans le secteur des microcaps, je ne peux m’empêcher de penser que l’entreprise est à court d’opportunités de réinvestissement à l’interne. Si c’est effectivement le cas et que l’entreprise ne peut pas générer un rendement élevé sur ses capitaux propres, cela signifie généralement que le potentiel est limité pour moi en tant qu’investisseur. Le secteur des microcaps est l’endroit où je veux trouver des entreprises en forte croissance tôt dans leur cycle de développement, et cela signifie généralement que je n’aurai pas droit à un dividende pour encore de nombreuses années.

Évidemment, de nombreuses stratégies d’investissement différentes peuvent fonctionner et il se peut très bien qu’un titre à dividendes performe excessivement bien. Il existe toujours des exceptions! En avez-vous vécu? Si c’est le cas, je serais bien heureux de lire votre histoire en commentaires!

 

[1] Traduction libre: https://www.investopedia.com/terms/d/dividend.asp

[2] https://www.investopedia.com/terms/b/bird-in-hand.asp