Mathieu Martin |

Le Degré de Levier Opérationnel

Votre processus d’investissement est certainement constitué d’une foule d’aspects. Mettez-vous l’emphase sur des critères plutôt simples à analyser, comme la croissance des revenus et la profitabilité? Êtes-vous plus du type intuitif, en vous fiant beaucoup à votre jugement?

J’ai récemment pris le temps d’identifier les principaux aspects auxquels j’accorde de l’attention.

Le concept qui est le sujet de cet article est fort intéressant puisque qu’il combine en quelque sorte l’art et la science de l’investissement. L’intuition et la théorie.

Il s’agit du Degré de Levier Opérationnel (DLO).

Vous avez peut-être déjà entendu parler de ce concept, puisqu’il est mentionné assez fréquemment par les équipes de direction des entreprises et par les analystes. Mais qu’est-ce que cela signifie exactement?

Essentiellement, le DLO permet de comprendre comment une fluctuation des revenus se reflètera sur le bénéfice d’opérations d’une entreprise, en fonction de sa structure de coûts fixes.

Voici d’abord quelques courtes définitions qui vous permettront de mieux comprendre le DLO:

Coûts variables: Ce sont les coûts directement associés à la production d’un bien ou à la livraison d’un service. Par exemple, si je produis un crayon pour 0,50$ et que je le revend pour 1$, chaque crayon vendu fera augmenter mes coûts variables de 0,50$.

Coûts fixes:  Ce sont les coûts qui ne varient pas en fonction des ventes. Par exemple, si j’ai signé un bail pour mon usine de crayons, je devrai payer le même loyer peu importe le nombre de crayons vendus. Il peut aussi s’agir de personnel, par exemple un directeur d’usine que je devrai également payer peu importe le montant de mes ventes.

Bénéfice avant intérêts et impôts (BAII): Il s’agit du bénéfice d’opérations, c’est-à-dire les revenus moins les coûts variables et les coûts fixes.

N.B.: Les intérêts et les impôts sont exclus puisque ceux-ci sont influencés par la structure de financement choisie par l’entreprise (dette versus équité) et la juridiction dans laquelle elle opère.

Voici maintenant comment calculer le degré de levier opérationnel:

 

 

Voici un exemple simple. En 2018, la compagnie ABC a publié les résultats suivants:

Revenus = 100,000$

Coûts variables (50% des ventes) = 50,000$

Coûts fixes = 30,000$

BAII = 20,000$

En 2019, elle publie les résultats suivants:

Revenus = 150,000$

Coûts variables (50% des ventes) = 75,000$

Coûts fixes = 30,000$

BAII = 45,000$

Dans cet exemple, la compagnie ABC a connu une croissance des revenus de 50% (150,000$ versus 100,000$). Son BAII, pour sa part, a augmenté de 125% (45,000$ versus 20,000$). Quel est donc le degré de levier opérationnel?

 

 

Essentiellement, ce que ça signifie c’est que pour chaque 1% d’augmentation des revenus, le bénéfice d’opérations (BAII) augmentera 2,5 fois plus rapidement, soit 2,5%. Pourquoi? Parce que les coûts fixes ne bougent pas.

Plus une entreprise a des coûts fixes élevés en proportion de ses coûts totaux, plus le degré de levier opérationnel sera élevé. Cela signifie qu’une croissance des revenus sera accompagnée d’une croissance encore plus importante du bénéfice d’opérations. Un DLO élevé est donc désirable pour une compagnie en croissance.

Comme la valeur d’une entreprise est ultimement basée sur la somme des flux de trésoreries qu’elle sera en mesure de générer dans le futur, un DLO élevé et une forte croissance des revenus signifient des profits plus élevés, et donc une valeur plus élevée pour l’entreprise.

 

Comment utiliser le DLO

Avant que vous deveniez inquiets par rapport à ces calculs mathématiques, je tiens à vous rassurer que je ne calcule pas explicitement le DLO pour chaque compagnie que j’analyse. De toute façon, les dépenses fixes et variables des entreprises changent avec le temps, donc le DLO aussi.

Par contre, il est important de comprendre intuitivement le concept du DLO afin d’anticiper les résultats futurs des entreprises que vous analysez. C’est ici que l’art rencontre la science.

Voici quelques questions que je me pose généralement:

 

  1. Quelle est la croissance des revenus anticipée pour l’année à venir?
  2. Quelle est la tendance des dépenses d’opérations (frais généraux et administratifs, ventes et marketing, recherche et développement) au cours des dernières années? Est-ce que ces dépenses augmentent dans la même proportion que les revenus, ou sont-elles plutôt stables dans le temps? Plus les dépenses semblent fixes, plus le DLO devrait être élevé.
  3. Est-ce que l’entreprise a atteint la profitabilité récemment? Lorsqu’une entreprise vient tout juste de devenir profitable, cela signifie que ses revenus couvrent maintenant tous les coûts variables et fixes, plus un profit d’opérations (BAII). Au départ, quand ce point vient tout juste d’être franchi, la marge de profit (BAII/Revenus) est probablement basse. C’est à ce moment que le DLO sera généralement le plus élevé.

 

Mon scénario idéal

En me basant sur les questions précédentes, je peux tenter de faire une projection pour l’année à venir. J’y vais alors de mes propres hypothèses et vous comprendrez qu’il y a un haut niveau d’incertitude quant à ces projections. Je recherche:

 

  1. Une forte croissance des revenus, la plus élevée possible.
  2. Beaucoup de coûts fixes, c’est-à-dire que la forte croissance des revenus n’est pas accompagnée d’une forte croissance des dépenses d’opérations.
  3. Une marge d’opération qui est initialement basse. En pourcentage, celle-ci devrait augmenter très rapidement si les deux premiers critères sont rencontrés.

Si mes hypothèses sont justes et que j’ai raison, les rendements obtenus peuvent être assez impressionnants. Il n’y a rien de mieux que des profits qui augmentent rapidement pour faire grimper la valeur d’une entreprise.

 

Le côté sombre du levier opérationnel

Comme rien n’est parfait dans la vie, le levier opérationnel est aussi accompagné d’un risque important. Les coûts fixes sont généralement difficiles à modifier ou, plus spécifiquement, à réduire.

Cela signifie que si la croissance des revenus n’est pas au rendez-vous, l’entreprise peut se retrouver dans le pétrin. Autant le DLO peut avoir un effet positif sur les bénéfices d’une entreprise en croissance, autant cela peut jouer en sa défaveur dans le scénario inverse. Une décroissance des revenus sera alors accompagnée d’une baisse encore plus importante du bénéfice d’opérations et pourrait même mener à des pertes d’opérations. Attention, car la situation peut s’aggraver rapidement.

La leçon à retenir est donc que l’effet de levier (opérationnel ou autre) peut être un outil formidable dans les bonnes circonstances. Cependant, il faut l’utiliser avec prudence et modération.

Je vous suggère de vous familiariser avec ce concept en l’incorporant lentement dans vos prochaines analyses et en jouant avec les différentes hypothèses pour voir les résultats.

Il n’existe pas de chiffre magique ou de règles précises pour utiliser le DLO. C’est à vous de développer votre intuition afin de vous servir du concept à bon escient!